Malheureusement, et malgré mes espoirs que l'attente soit moindre qu'au matin du premier jour, les faits sont là, et la file d'attente aussi. Moins dense, moins longue, mais quand même sacrément emmerdante. En plus, on se démerde mal avec Fabrice, on est placé derrière une bande de pas-pressés qui se laissent doubler dans la masse, et on se retrouve au couloir de ganivelles cinquante personnes derrirère les chevelus qui nous talonnaient au départ. Comme dira plus tard Yves-Marie : "il faut se mettre derrière des filles, il y en a moins, elles passent plus vite la fouille." Oui, sauf qu'on n'y a pas pensé et qu'Yves-Marie est arrivé avec sa tactique cinq minutes plus tôt, a dix mètres d'avance dans la file, entre donc sur le site quinze minutes avant nous et ne rate pas comme moi la première chanson du set de Sixx A.M. ("This is Gonna Hurt", un super choix de morceau d'ouverture).
Heureusement, après la fouille et un sprint, je me place dans la foule pas très compacte et ne manque rien du reste de ce choix ultra pro, hymnes fédérateurs d'american rock trop bien foutus, en particulier les extraits du dernier album, que je ne connais pas trop, mais qui claquent bien comme il faut sur scène (un "Pray For The Damned" du feu de Dieu) - merci à un son impec qui permet d'écouter et de découvrir, plutôt que de s'arracher les oreilles à essayer de reconnaître. Et ce sera vrai pour toute la journée, comme hier, et demain aussi : cette édition 2016 s'écoute très (très très) fort (impossible de s'entendre, même à la porte du "Kingdom of Muscadet", à deux cent mètres des scènes), mais très très bien.
Même les titres que je n'écoute pas vraiment sur disque me bluffent ("Lies Of The Beautiful People"), et le single "Stars" balaie tout sur son passage. James Michael a la classe américaine, Nikki Sixx cache ses rides sous un maquillage Apache-du-Futur du plus bel effet, D.J. Ashba, hiératique comme un samouraï, donne une leçon à tout le monde, et personne ne connaît le batteur (normal : sur disque, Michael chante, gratte la rythmique, écrit, produit, arrange, et... cogne les fûts. Vous avez dit "surdoué"?).
Après cette bonne claque, qui me laisse chantant et sautant sur place jusqu'à la première bière, on retrouve Yves-Marie, la tête dans les "Stars" de Sixx A.M. aussi, avant de se replacer pour regarder de loin Foreigner, dont je n'attends que le "I Want To Know What Love Is", sans illusion : ce sera la dernière, ça risque d'être un peu long.
Eh bien, pas du tout : alors qu'il fête ses quarante ans cette année, Foreigner n'est pas du tout un groupe de salle des fêtes, et assure un show énergique et sans temps mort (avec trois guitaristes, quand même). Alors, bien sûr, il ne reste plus du "vrai" groupe que le guitariste Mick Jones, mais le chanteur Kelly Hansen (aucun lien, il est fils unique), avec ses faux airs de Steve Lee, assure grave, et les autres (dont personne n'a rien à foutre, honnêtement) font du bon boulot aussi. Et puis, finalement, il n'y a pas que "I Want To Know What Love Is" ! Fabrice est tout surpris de reconnaître un titre sur deux ("Hé ! Ça aussi, je connais, et j'aime bien aussi !"), et "Juke Box Hero", que j'avais oublié, fait son petit effet.
Et quand arrive enfin LE hit, on est tous à bloc, et Hansen n'a qu'un mot à dire pour qu'on se retrouve tous épaule contre épaule, enlacés comme des Irlandais au bar un soir de victoire au rugby, Fabrice, Yves-Marie, son pote et moi, à chanter notre désir de connaître l'amour. Je démarre trop tôt ("I gotta take a little time") et ça fait bien marrer la milf devant moi (soit parce que je chante assez bien pour ne pas lui gâcher son moment, soit parce qu'elle s'en fout du moment (on est quand même aux derniers des derniers rangs, pas trop de die-hard fans en vue), soit parce que je n'ai déjà plus de voix (avec les bouchons d'oreille, je ne m'entends pas). En tout cas, tout le site fait sa part, et le hymne du Hellfest 2016 est là.
Deuxième bière, et on revient pour Within Temptation, pas trop tard pour être bien placé, parce que Sharon Den Adel sera belle et bien habillée (et oui, aussi, elle chante merveilleusement bien : si on veut seulement les deux premiers, on va voir Alissa White-Gluz d'Arch Enemy, mais dans un autre genre (genre grunteuse steam punk).
En attendant, c'est Disturbed sur la scène d'à côté, et... comme d'habitude, ce n'est pas du tout ce que je croyais, et comme le son est géant, on peut écouter, et découvrir, et trouver ça... moyen. Je suis quand même cueilli par cette reprise aussi inattendue que frissonnante du "Sound Of Silence" de Simon & Garfunkel, mais c'est surtout quand David Draiman appelle ses potes de Sixx A.M. qu'il se met tout le monde dans la poche, pour un "Shout At The Devil" d'anthologie, forêt de bras levés et refrain scandé à pleins poumons par un site déchaîné ("Shout! Shout! Shout!") : le deuxième hymne du Hellfest 2016 (même pas une heure après le premier!). Et quand Draiman remet ça avec Glenn Hughes pour "Baba O'Reilly" (On est entre connaisseurs, personne ne lâche sérieusement : "Hé ! C'est "Les experts"!), c'est carrément du délire, et je me retrouve à attraper les épaules du vieux rocker à mes côtés pour beugler notre "Out Here In The Fields ! I Fight For My Meals !". Après ça, on attend quasiment un "Whole Lotta Love" avec Joe Satriani en guest, mais c'est un "Killing In The Name" ultra fédérateur qui déboule (mais qui me laisse un peu plus tiède, moins fan que je suis du rap/funk/punk/metal de Rage Against The Machine (qui sent la tête d'affiche pour 2017, non ? À voir la réaction du public aujourd'hui, ça paraît une bonne idée, en tout cas (pour les organisateurs, je veux dire, bof pour moi (je sens qu'Anne va encore m'engueuler en lisant ça ;)))
Encore quelques "vrais" titres de Disturbed ensuite, qu'on écoute maintenant avec plus d'attention, et qu'on trouve cette fois... encore moyens, et c'est l'heure du metal symphonique gracieux de Within Temptation.
Sans album à promouvoir ("Hydra" date de début 2014), WT joue sans autre contrainte que faire plaisir au public (et éventuellement vendre quelques exemplaires supplémentaires de leur disque live sorti l'année dernière ;) et attaque avec un titre d'un album que je ne connais pas, mais comme Sharon est belle et bien habillée (et que le son est, encore une fois, très bon), j'écoute et j'attends la suite. Et quelle suite ! Trois titres pour moi ("Je t'ai grillé à bien connaître", lâchera un Yves-Marie goguenard), dont le toujours surprenant "And We Run" avec le guest rappeur Xzibit, pas là pour de vrai, WT s'étant fait une spécialité des guests projetés sur écran géant en fond de scène (pour un effet pas toujours réussi, d'ailleurs).
Sauf quand arrive le très attendu "Paradise (What About Us?)", puisque Tarja Turunen, en guest sur la version studio, joue le lendemain sur cette même scène, et que le Facebook de WT n'a pas trop laissé de doute sur l'"apparition-surprise" de la ex-diva de Nightwish. À tel point que Sharon Den Adel ne trouve pas vraiment les mots pour l'annoncer, hésitant entre le "Vous-l'attendez-tous" et le "Devinez-qui-voilà!". Résultat : un vieux blanc, et une entrée un peu ratée pour Tarja. Ceci dit, même si la chanteuse de WT avait bien géré le coup, Tarja se serait très bien débrouillée toute seule pour saloper son arrivée, puisqu'elle reste la frontwoman empotée qu'elle a toujours été, sourire niais et coucous de cour de récréation. Heureusement, elle chante comme une reine (dans un genre cantatrice d'opéra que je trouve insupportable) et emporte bon gré mal gré l'adhésion du public. Joli coup quand même pour WT, qui crée l'événement, mais mauvais coup pour Tarja, que je n'irais finalement pas voir demain, découragé d'avance par ses envolées vocales de Castafiore.
On reste en place pour ne rien rater de Twisted Sister, qui jouera sur la même scène dans une heure et quelques, et on craque une oreille vers Bring Me The Horizon, le groupe de djeunes de la journée (plus d'ados aujourd'hui sur le site que d'habitude, comme pour Papa Roach en 2013), qui envoie avec fougue son metalcore qui décoiffe (et qui ne m'intéresse pas trop).
Le soir tombe, et le fameux "It's A Long Way To the Top (If You Wanna Rock n' Roll)" d'AC/DC annonce comme toujours l'entrée en scène de Twisted Sister, sur des images d'archive hautes en couleurs, qui font monter la pression dans une foule déjà chauffée à blanc. C'est que Twisted Sister s'apprête à donner là son ultime show en France, promis-juré, après c'est fini, mais pas fini comme Judas Priest (qui annonce un nouvel album aux premières dates de la tournée d'adieu) pas fini comme Scorpions (qui prolonge sa tournée d'adieu depuis... cinq ans et deux nouveaux albums studios), ou comme Ozzy (qui annonce sa retraite depuis 1991, quand même).
Trêve de médisances, Twisted Sister n'est pas du genre à jouer les faux départs, ils tournent depuis trente ans avec seulement cinq albums dans la poche, sortis entre 1982 et 1987 (plus six best-ofs!), et donnent à chaque fois un pur moment de délire rock n' roll, avec son diable de frontman Dee Snider et ses hymnes à la gloire de leur (et notre) musique chérie ! Jugez plutôt : "You Can't Stop Rock n' Roll", "I Wanna Rock", "I Believe In Rock n' Roll", et surtout le phénoménal "We're Not Gonna Take It", que le géant blond annonce, après nous avoir fait chanté à pleins poumons, par un "I think they're ready" déjà mythique.
Comme en 2013, à la fin du morceau, déjà rallongé à plaisir par un Dee Snider qui ne s'en lasse apparemment pas, le public en veut encore et encore, on relance le refrain, mais on rate le coche ce coup-ci en ne démarrant pas tous ensemble, et Dee Snider lui-même est obligé de recaler les troupes ("Well, that's a little uneven."). En 2013, c'est bien le public qui avait donné le tempo et le groupe avait enchaîné! Dommage, mais tellement fun de toute façon ! Encore un "I Wanna Rock" fou furieux, et une surprise nous tombe dessus : le chanteur se fait soudain humble (et c'est une entreprise qui demande de l'envergure, quand on est un tel monstre de scène) et appelle à ses côtés le vétéran Phil Campbell, guitariste légendaire de Mötorheäd, pour un "Shoot 'Em Down" dédié à Lemmy Kilmister. C'est alors un moment assez étrange qui se déroule sous nos yeux, les-dits yeux étant tous braqués sur le petit guitariste (par la taille!), un peu embarrassé de la présence écrasante des sauvages Sisters, qui se font tous le plus sage possible (Mendoza en arrête même de claquer la gueule de son manche de basse), mais brillant d'une aura mélancolique très émouvante. Plus à l'aise sur le fondamental "Born To Raise Hell" de Mötorheäd, Phil Campbell finira sous les acclamations qu'il mérite, et qu'il reçoit autant pour sa prestation que pour son statut de frère d'armes survivant de Lemmy.
Le feu d'artifice-hommage au chanteur disparu quelques mois plus tôt arrive alors à point nommé et ce sont 50 000 personnes qui pleurent leur metal hero de la seule façon possible : en beuglant "Ace of Spades" comme des ânes désespérés. Pourtant, le moment le plus touchant est encore à venir. Après le magnifique "RIP Lemmy" en lettres de feu, la foule reprend ses esprits et a commencé à se disperser, quand une voix d'outre-tombe s'élève timidement sur le site.
Il me faut quelques secondes (et un mouvement de foule tout en douceur) pour comprendre qu'elle provient de la main stage encore plongée dans la pénombre du feu d'artifice. Quelques lumières de scènes, un projecteur respectueux, et Phil Campbell apparaît, au milieu des roadies de Twisted Sister qui s'arrêtent bientôt de démonter le set, et comme nous, s'approchent pour écouter un homme pleurer son copain.
Et je pleure avec lui.
Après ça, Korn peut bien aller se faire foutre.
A demain.