mardi 29 juillet 2025

TRIPLE FEATURE

TRIPLE FEATURE : Métamorphoses féminines fantastiques et tragiques

THE SUBSTANCE, de Coralie Fargeat (2023)

Il y a d'abord la promesse d'un spectacle visuel fascinant et délirant — mais aussi potentiellement malaisant —, avec cette affiche en gros plan sur un iris oculaire dédoublé ou cette autre sur un corps moribond grossièrement couturé : c'est fabuleux et dérangeant à la fois, comme une créature féérique dégénérée ou une fiancée de Frankenstein abandonnée. 

Il y a ensuite le plaisir de revoir enfin Demi Moore, dont on est amoureux depuis "Ghost" (1990), mais qu'on avait un peu perdue de vue depuis la tête rasée et les biceps saillants de "G.I. Jane" (1997) ; un plaisir cependant teinté d'une certaine gêne, puisqu'on sait que la belle s'est empêchée de vieillir, de coups de bistouri, dans le visage et les seins, en cures successives d'amour éperdu de jeunes hommes émerveillés (Ashton Kutcher avait douze ans quand "Ghost" est sorti). Qu'à cela ne tienne, c'est justement de cette image que l'actrice va bravement jouer, jusqu'à l'horreur la plus insupportablement écœurante, pour dire combien le regard des autres est la blessure la plus profonde et avilissante qu'on puisse subir. 

Car c'est bien d'horreur qu'il va être question ici : l'horreur de son corps qu'on observe, qu'on scrute, qu'on juge jusqu'à la détestation, l'horreur de son corps qu'on perfectionne jusqu'à l'autodestruction, l'horreur de son corps qu'on maltraite, qu'on rejette, qu'on triture, qu'on saccage, pour le prix dérisoire d'une admiration éphémère et pour le bonheur vain d'être la plus belle en ce royaume.

Et quand sa monstruosité devient telle qu'elle en est presque irregardable, c'est dans un murmure déchirant qu'Elisabeth Sparkle, ex-Blanche-Neige devenue vieille sorcière tordue, puis créature difforme cauchemardesque, supplie : 

"I'm still here".

Une allégorie folle et furieuse du respect de soi et de son intégrité morale et physique, une critique fulgurante du star-system et du male gaze, entre horreur organique et féminisme hardcore, entre thriller et conte de fées, entre David Lynch et les frères Grimm, entre "La mouche"et "Showgirls".


"REMEMBER : YOU ARE ONE." "Vous ne faîtes qu'une", mais aussi "Vous êtes unique".


LA FÉLINE, de Jacques Tourneur (1942)

Ça commence comme une comédie romantique, automne à New York, rencontre fortuite au zoo, promenade dans les rues, et soirée douce et tendre, bref un moment hors du temps, à peine assombri par la légende ancestrale des origines serbes d'Irena : car la belle vient d'un village maudit, dont les habitants se changent en félins lorsqu'ils cèdent à leurs émotions (peur, jalousie, désir). 
Pas d'horreur explicite ici, mais des ambiances de tension noire et blanche, entre ombres et lumières, pour un conte fantastique et allégorique de la possession charnelle (l'acte sexuel) et psychologique (l'emprise ou le traumatisme).
Car la malédiction de la femme-panthère, qui redoute ses élans, réprime ses désirs, refuse d'être touchée, réduit en pièces ses ennemi(e)s par jalousie (la maîtresse de son mari) ou autodéfense (son psychiatre), n'est-ce pas là une métaphore de la femme violentée et traumatisée ? 
In fine, Irena se changera véritablement en panthère mais choisira d'en mourir, comme vaincue par sa propre malédiction.


LES YEUX SANS VISAGE, de Georges Franju (1960)

Un savant visionnaire et mégalomane cherche à tout prix à reconstruire le visage détruit de sa fille adolescente. Mais, pour cela, il kidnappe des jeunes filles qui lui ressemblent et leur prélève de force le visage.
La métamorphose semble d'abord réparatrice, puisqu'il s'agit de sauver l'apparence — mais aussi l'équilibre mental — d'une jeune fille aimée. Cependant, la folie démiurgique du professeur, à la fois Jack l'éventreur et Viktor Frankenstein, empoisonne peu à peu ses recherches, jusqu'à ce que la réussite de son exploit scientifique lui devienne plus obsédante que la sauvegarde de son enfant, qu'il ne verra pas sombrer dans sa propre démence.
Horreur poétique et vaporeuse, enveloppante et rassurante comme un linceul, pour une descente aux enfers aux atours de délivrance.


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